Commandants !
2019 oblige, on célèbre cette année les 75 ans de nombreuses batailles célèbres de la Seconde Guerre Mondiale. Pour ce nouvel article historique, concentrons-nous sur l'une d'entre-elles, très connue outre-Atlantique et un peu moins chez nous, même si elle s'est pourtant déroulée dans l'est de la France.
Les Vosges, enjeu majeur
Nous sommes en septembre 1944. La ville de Paris a été libérée le mois dernier, et les troupes allemandes sont en déroute depuis le débarquement en Normandie et les efforts conjoints des alliés venus de la Provence. L'étau se resserre autour de l'est de la France et du massif montagneux des Vosges, où le troisième Reich s'arrête, désormais. Pour les alliés, il est essentiel de traverser la région pour atteindre le Rhin et entrer en Allemagne. Quant aux forces de l'Axe, on entend faire de ses montages un véritable bastion.
Les abords de Bruyères
Mais les choses sont loin d'être gagnées, dans un camp comme dans l'autre. Si les chars des alliés avancent très rapidement vers l'est de la France, une fois sur place, ils sont ralentis par les défenses allemandes, retranchées dans le massif et enhardis par la proximité avec le Rhin. Pour vous donner un exemple : la septième armée américaine part de Provence et rejoint les Vosges en seulement quatre semaines, mais une fois sur place, elle est stoppée net.
Les forces en présence
Il faut dire que la météo n'y met pas du sien. A l'approche de l'hiver, les Vosges sont prises dans le brouillard et arrosées par une pluie battante, qui accueille la septième armée américaine et la première armée française, celle du Général de Lattre de Tassigny. La jonction est faite, mais la situation va vite s'envenimer. D'autant que les informations quant aux défenseurs viennent à manquer. En réalité, les unités allemandes sont formées à la hâte avec les restes de régiments décimés, le plus souvent renforcées par du personnel venu de forteresses, des combattants âgés ou même des policiers. Les vétérans se font rares, et le commandement devient disparate.
Les hommes du 442e Régiment d'Infanterie américain, déployé dans les Vosges
Mais tout ça, les Alliés ne le savent pas encore. Leur première approche pour avancer sur les Vosges va même favoriser les défenseurs allemands, puisque les Américains se regroupent dans de longues colonnes, qui suivront les routes de montagne. Même protégés par des chars et de l'artillerie, ces groupes de combat sont très faciles à anticiper pour les Allemands, qui les ralentissent avec des embuscades bien préparées. Bien heureusement, les Américains réagissent vite et dès la mi-septembre, ils changent leur stratégie et optent pour des assauts sur de larges fronts, avec Strasbourg en ligne de mire. Ce faisant, ils forcent les défénseurs à choisir quelles unités intercepter.
Bruyères et le Bataillon perdu
Mais pour avancer, encore faut-il s'aventurer au cœur des Vosges et prendre le contrôle de ses points névralgiques, dont la ville de Saint-Dié, qui elle-même, contrôle l'accès aux cols Vosgiens et à l'Alsace, qui se cache juste derrière. Les Américains envoient donc leurs chars et leurs hommes dans cette direction, avec l'espoir de faire un premier pas en capturant la petite ville de Bruyères, dont les routes mènent à Saint-Dié. Mais flanquée par quatre collines, Bruyères s'avère difficile à prendre. Les Allemands se sont installés sur les hauteurs et utilisent la forêt et le climat à leur avantage. Le 13 octobre, les combats éclatent, et ils dureront jusqu'au 30 octobre.
Bruyères en 1944
Cette bataille fut rendue célèbre par la percée de ce qu'on appellera plus tard le « Bataillon Perdu ». Malgré la réserve de ses officiers, on demande à la 36e Division d'infanterie (dite « Texas ») et notamment au 141 Régiment d'Infanterie de pousser hors des lignes pour capturer l'une des collines, celle de Biffontaine. Leur avancée tourne au désastre quand 700 Allemands les coupent de tout support logistique et d'un appui-feu précieux. Encerclée, l'infanterie tente de rejoindre les lignes américaines une première fois, avant de camper sur ses positions pour limiter les pertes et ne pas abandonner les blessés.
Le sauvetage
L'affaire est si symbolique qu'on en entend parler jusqu'au sénat américain. Des parlementaires exigent que les hommes piégés entre les feux allemands soient libérés à tout prix, et de toute urgence. Le sauvetage du Bataillon perdu ne s'embourbe donc pas seulement dans le froid et le brouillard mais aussi dans la politique. Tout est alors mis en œuvre pour sauver le bataillon, condamné à être ravitaillé par des largages aériens, puisqu'aucun homme ni même aucun char ne semble pouvoir faire la jonction avec eux. En plus des Allemands, ce sont le climat et le terrain qui tiennent deux tentatives de sauvetage en échec. Jusqu'à ce que l'opération ne soit confiée au 442e régiment d'infanterie.
Un autre symbole, puisqu'il s'agit d'un régiment racisé, entièrement composé de Nisei, terme désignant les immigrés japonais de seconde génération. Pendant six jours et cinq nuits, ils avancent mètre après mètre et finissent par faire la jonction avec les unités prises au piège. 230 hommes sont ainsi sauvés, mais le 442e paie cet exploit au prix fort : plus de 800 soldats sont tombés pendant le sauvetage, faisant de cette bataille l'une des plus sanglantes de toute l'histoire américaine. Pourtant, justice ne sera rendue aux hommes du régiment que quelques années plus tard, notamment dans les années 1960, lorsque le gouverneur du Texas John Connally fait des vétérans Nisei des Texans à titre honorifique. Mais il faudra attendre les années 1990 et 2000 pour que les médailles décernées à l'époque, volontairement moins prestigieuses que la moyenne, soient « améliorées » souvent à titre posthume, hélas.
Sculpture de Shinkichi Tajiri célébrant les 50 ans de la libération de Bruyères
Surnommée le « second Monte Cassino » par les Américains, la bataille de Bruyères est classée comme l'un des dix plus grands désastres de l'histoire militaire des États-Unis, et démontre, d'un point de vue militaire, comment le terrain peut annuler les avantages d'une armée supérieure en nombre et en matériel. D'un point de vue humain, elle montre surtout comment la fierté peut virer à la folie pure, dans un camp comme dans l'autre.
En avant !