Les véhicules blindés sur roues offraient une alternative aux véhicules de combat sur chenilles. Toutefois, un voyage long et difficile les attendait avant d'arriver sur le champ de bataille. Ces véhicules durent traverser la boue, éviter des cratères et de nombreux autres obstacles typiques de la guerre des tranchées.
En 1915, les ingénieurs du Landship Committee se mirent à la recherche d'une « arme miracle » pour l'armée britannique : un véhicule automoteur blindé. Les mois de dur labeur n'eurent pas les résultats escomptés et l'amirauté britannique sembla abandonner ce concept prometteur étant donné que personne n'arrivait à monter un projet qui en valait la peine.
Néanmoins, un autre produit du développement technique avait déjà été mis en place plusieurs années auparavant et avait même fait son baptême du feu en 1915. Il s'agissait de véhicules blindés sur roues : des parents proches de ce qui allait devenir le char. Ces véhicules furent d'abord utilisés sur les champs de bataille du début du XXe siècle. Comme souvent avec les nouvelles technologies militaires, pour plusieurs officiers, il ne s'agissait de rien de plus qu'une fantaisie. Pour cette raison, il y eut un délai important avant que les premières unités de blindés ne soient adoptées par les armées européennes. Toutefois, les premiers blindés prirent part aux combats de la Première Guerre mondiale sur les fronts de l'ouest et de l'est.
En 1914, la Belgique dut faire face au cauchemar de la Première Guerre mondiale. C'est durant l'invasion de la Belgique par l'Allemagne que le lieutenant Charles Henkart, attaché à l'état-major, utilisa sa Minerva civile pour monter au front. Pour atteindre le champ de bataille en toute sécurité, ce Belge débrouillard s'arrangea pour protéger sa voiture avec des plaques de blindage et l'équipa d'une mitrailleuse Hotchkiss de 8 mm. C'est ainsi que l'ancienne déesse de la sagesse fut équipée et préparée au combat. Ce véhicule se montra assez efficace : sa vitesse de pointe maximale de 90 km/h (sur route bétonnée) permit des attaques rapides et réussies sur les positions allemandes. Malheureusement, l'automitrailleuse finit par être détruite dans une embuscade allemande.
Malgré le succès de l'innovation de Henkart, cette dernière ne fut pas appréciée à sa juste valeur par le commandement militaire. Toutefois, l'attaché de l'armée belge à Paris, le major Auguste Colonne, eut plus de succès : il parvint à mettre en place une division entièrement équipée de véhicules blindés vers la fin de l'automne 1914. Elle était composée d'automitrailleuses Miverva et Peugeot équipées de canons de 37 mm et de mitrailleuses. Certains de ces véhicules pesaient jusqu'à quatre tonnes, et l'équipage incluait un commandant, un tireur, un pilote et un assistant du pilote. |
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Cette brigade blindée avait également un service de réparation indépendant et des unités à vélo. Le major Colonne la considérait comme une unité d'élite. Il commanda même un uniforme séparé auprès d'un couturier parisien et préférait engager ses hommes dans l'aristocratie. Il y avait toutefois des exceptions, comme Constant Le Marin, un soldat charismatique réputé comme l'auteur du célèbre cri de guerre « On va leur couper la tête », qui fut plus tard repris même sur le front russe. Le poète de 18 ans Marcel Thiry était un autre membre remarquable de l'unité. Il s'était engagé pour « s'amuser et participer à une bataille historique ».
L'unité fut en essais jusqu'au printemps 1915 à Boulogne avant d'être redéployée en Flandres. Mais elle n'a devant elle que des champs parsemés d'obus et couverts de gaz moutarde, et l'unité d'automitrailleuses belges eut peu d'opportunités de participer au combat. La réalité de la guerre des tranchées rendit les automitrailleuses Minerva inutiles.
La Royal Naval Armoured Car Division eut un parcours similaire. Au début, la Grande-Bretagne établit son Royal Navy Air Service. Après le début de la Première Guerre mondiale, les forces britanniques commencèrent à utiliser des avions de reconnaissance. Néanmoins, de nombreux avions ne revinrent jamais, et le sauvetage des pilotes était considéré comme leur objectif principal. Cette mission fut confiée aux équipages des automitrailleuses Lanchester, développées à la demande du RNAS. Ces véhicules étaient protégés par des plaques de blindage de 8 mm et armées d'une mitrailleuse Maxim de 7,62 mm ou Lewis de 7,7 mm.
Le commandant de la division était le député conservateur du parlement britannique Oliver Locker-Lampson, un homme assez remarquable. Comme son homologue belge, il transforma sa Rolls Royce en automitrailleuse. Les salaires des pilotes d'automitrailleuses étaient un problème qui faillit provoquer une querelle entre le secrétaire d'État à la Guerre Horatio Kitchener et le premier lord de l'Amirauté Winston Churchill. À l'époque, un conducteur lambda de l'armée gagnait six shillings par jour, tandis que Locker-Lampson offrait aux siens un salaire quotidien de 10 shillings.
La division d'automitrailleuses blindées britannique fut envoyée sur le front dans les Flandres, et comme son homologue belge, elle ne fut pas vraiment utile lors des opérations militaires. Voici ce que dit l'historien Jaroslav Galubinov : « Malgré les combats acharnés face aux troupes allemandes dans les Flandres, la division ne prouva pas sa valeur. Ces automitrailleuses blindées étaient inutiles dans des batailles de position, où le champ de bataille était traversé par de nombreuses tranchées. »
Les alliés ne pouvaient pas se permettre d'entretenir deux divisions non adaptées aux actions sur le front. L'état-major prit rapidement la décision d'envoyer les divisions d'automitrailleuses blindées à l'Empire Russe, où le premier peloton d'automitrailleuses fut formé.
L'empire russe fut très novateur en matière de création des premières unités d'automitrailleuses. En 1906, M. A. Nakashidze eut l'idée de créer une telle unité. Malheureusement, il fut tué durant l'explosion d'une bombe et ne fut jamais capable de faire de ses plans une réalité.
En août 1914, le secrétaire à la guerre V. A. Suchomlinov approuva la création d'un « peloton d'automitrailleuses blindées ». En octobre de la même année, ce peloton fut envoyé sur le front nord-ouest, sous le commandement du colonel de régiment A.N. Debrzhansky. À ce moment, le peloton était composé de véhicules blindés basés sur le châssis des voitures légères russo-baltes. Les véhicules avaient cinq membres d'équipage et étaient équipés de trois mitrailleuses Maxim chacuns. Plus tard, des véhicules supplémentaires furent achetés et le premier peloton d'automitrailleuses reçut plusieurs automitrailleuses britanniques Austin 1st series.
Les combats de 1914 prouvèrent que les véhicules blindés ne pouvaient pas reposer uniquement sur la puissance de feu de leurs mitrailleuses, et que des armes de plus gros calibres étaient également nécessaires. Le développement du premier véhicule blindé doté d'une mitrailleuse et d'une arme de plus gros calibre commença, sur la base du transport américain Garford de cinq tonnes.
Sur le front russe, les véhicules blindés étaient plus efficaces et courants que leurs homologues du front ouest. Voici ce qu'en disaient les témoins de l'époque : « Nous avons aperçu des silhouettes effrayantes qui ignoraient les pluies de balles qui fusaient de partout. Le bruit était horrible, et les premiers rangs de casques ont avancé, puis un autre, et encore un autre. Les terrifiantes silhouettes grises se sont rapprochées, et une pluie de plomb a terrassé les colonnes de soldats allemands. Et bientôt, les hourras des soldats russes retentirent dans le centre-ville. C'est ainsi que les témoins décrivirent l'offensive du 10 novembre 1914 des automitrailleuses russo-baltes sur la ville de Stryków. Deux ans plus tard, le baptême du feu des chars allait susciter les mêmes émotions.
D'après la règle, chaque automitrailleuse de l'armée impériale était baptisée individuellement. Par exemple, à la fin de l'automne 1915, l'automitrailleuse Austin 1st series « Adsky » et l'automitrailleuse Garford « Grozny » furent observées sécurisant un gué pour l'infanterie. À l'époque, les forces allemandes ne pouvaient pas faire grand-chose face à la menace de ces véhicules.
À ce moment, un total de 120 véhicules blindés avait été utilisé avec succès sur les fronts russes où les possibilités de mener une guerre mobile étaient plus importantes. Toutefois, ces véhicules blindés avaient toujours besoin de routes qui convenaient aux véhicules à moteur. La neige et le printemps rendaient les routes extrêmement peu praticables et imposaient l'utilisation de chaînes sur les roues.
Néanmoins, ça n'était pas le seul problème de l'utilisation des automitrailleuses : elles étaient bruyantes, et le bruit de leur moteur les rendait facilement repérables. En outre, elles étaient souvent trop lourdes pour passer les ponts et les gués les moins solides. C'est pour cela que certains commandants refusaient de les utiliser en combat.
Les véhicules blindés Locker Lampson combattirent dans le Caucase et sur le front roumain, et ils participèrent à la dernière offensive de l'armée impériale russe en juin 1917 en Grèce. Ce fut un désastre. Ceci est tiré des mémoires d'un officier de division : « L'attaque fut suivie par une contre-attaque avec du gaz, des lance-flammes et d'autres sales tours. Nos camarades tinrent leurs positions mais ne parvinrent pas à avancer. En 1918, les unités avaient abandonné leurs chevaux de fer dans les champs de Koursk et de Vladivostok et étaient rentrées chez elles.
La Première Guerre mondiale fut un défi difficile pour les blindés sur tous les fronts. Elle commença par une période de guerre mobile au cours de laquelle les unités blindées pouvaient jouer un rôle central. Toutefois, dès l'été 1915, la guerre s'embourba dans les tranchées, ce qui rendit leur maniabilité, qui était leur plus grand avantage, totalement inutile. À ce moment critique, le correspondant de guerre britannique Cornell Ernest Dunlop Swinton envoya une lettre au commandant des forces britanniques en France, le maréchal John French. Selon cette lettre, il était « nécessaire de développer de nouveaux véhicules de combat en se basant sur des tracteurs à essence sur chenilles ».
Personne ne s'attendait à ce que cette lettre insignifiante change le cours de l'histoire.
Sources :